Dans bien des entreprises, la liberté d’expression semble s’arrêter aux portes du bâtiment. Certains managers considèrent que le salarié doit se taire, obéir, et surtout ne pas “faire de vagues”. Pourtant, le droit d’exprimer une opinion, de questionner des décisions, de dénoncer un dysfonctionnement ou d’alerter sur des risques, fait partie intégrante des droits fondamentaux du salarié. Mais cette liberté, pourtant garantie par la loi, dérange. Elle gêne les habitudes, les hiérarchies, les discours bien rodés. Alors on la muselle. Pas frontalement. Pas toujours par écrit. Mais par des petites phrases, des silences pesants, des convocations injustifiées, des sanctions déguisées. Ce climat pousse au repli, à la peur, à l’autocensure. Ce que l’on oublie trop souvent, c’est qu’une entreprise n’est pas un espace vide de droits. C’est une communauté de travail où chacun a le droit de s’exprimer — avec respect, certes, mais sans se voir accusé à chaque mot d’un “manque de loyauté”.
Il est temps de lever ce tabou.
De rappeler que parler n’est pas une faute.
C’est un droit. Et parfois, un devoir.
La liberté d’expression du salarié est un droit fondamental, protégé par la Constitution, par la Convention européenne des droits de l’Homme, mais aussi par le Code du travail.
L’article L1121-1 du Code du travail précise :
« Nulle restriction ne peut être apportée aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives (…) sauf si elle est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. »
En clair : un employeur ne peut pas interdire ou sanctionner la parole libre d’un salarié… sauf si cette expression nuit gravement à l’entreprise et que la mesure est strictement nécessaire. Mais critiquer des conditions de travail, alerter sur un danger, exprimer un désaccord sur une organisation, raconter ce qui se passe dans l’entreprise, parler syndicalement : tout cela reste légal, même si ça dérange la direction. Trop souvent, les employeurs confondent “loyauté” avec “soumission”.
Or, le salarié loyal, c’est aussi celui qui dit quand ça ne va pas.
Non, l’entreprise n’est pas une zone de non-droit.
Oui, un salarié a le droit d’exprimer ce qu’il pense.
Critiquer une décision
Exprimer son ras-le-bol
Parler de ses conditions de travail
Dire qu’il y a un problème de sécurité
Soutenir un collègue ou un syndicat
Tout cela est autorisé, tant que le salarié ne tombe pas dans :
l’injure (ex : “c’est un c**”),la diffamation (accuser quelqu’un à tort de faits graves),
ou les propos discriminatoires.
🗣️ « Franchement, on n’est pas des machines. »
= Ras-le-bol légitime face à une cadence excessive.
🗣️ « Encore une journée comme ça et je rends mon badge. »
= Expression d’un épuisement moral, pas une démission réelle.
🗣️ « Je lève le pied, j’en peux plus. »
= Droit au ressenti, pas refus de travail.
🗣️ « Ils veulent du chiffre, qu’ils le fassent eux-mêmes. »
= Critique d’un objectif déconnecté du terrain.
🗣️ « Ici, on bosse comme des chiens, et en plus on nous parle mal. »
= Expression d’un malaise, sans insulte nominative.
🗣️ « Tout est de travers dans cette boîte. »
= Opinion générale, pas diffamation.
🗣️ « Les chefs, ils sont jamais là quand y’a un problème. »
= Observation sur l’organisation, non ciblée.
🗣️ « J’ai mal au dos mais faut livrer, alors je serre les dents. »
= Alarme sur la santé, que l’employeur devrait entendre, pas sanctionner.
🗣️ « On court partout, on n’a même plus le temps de faire pipi. »
= Témoignage d’un rythme déshumanisant.
🗣️ « Ça me donne envie de me mettre en arrêt, je te jure. »
= Avertissement sur la détresse, pas une fraude au médecin.
Critique des conditions de travail
On nous impose des cadences intenables, c’est dangereux.
Protégé : le salarié alerte sur une dégradation des conditions de travail. Pas d’injure, pas de diffamation.
Remarques sur le management
Notre chef ne nous écoute jamais, il crée un climat de tension permanent.
Protégé : c’est une critique de l’organisation, pas une attaque personnelle ni une insulte.
Prise de parole syndicale ou collective
L’entreprise refuse de dialoguer avec les élus.
Protégé : cette opinion entre dans le cadre du rôle de représentation et de liberté syndicale.
Signalement de dysfonctionnements
Il y a un vrai problème de sécurité dans la zone palettier, mais personne n’écoute.
Protégé : c’est une alerte sur un risque. Et même si elle est publique (réunion, tract, mail groupé), elle reste licite.
Critique d’une politique RH
Les primes sont distribuées de manière injuste, on ne connaît même pas les critères.
Protégé : opinion sur un système interne, sans propos diffamatoires.
Remarques sur le non-respect des droits
On est en dessous de la convention collective, il faudrait que la direction respecte la loi.
Protégé : le salarié évoque un manquement légal, il est dans son droit, même si l’entreprise le prend mal.
L’entreprise ne peut pas sanctionner un salarié pour des discussions relevant de la liberté d’expression
Les échanges entre collègues, les réflexions exprimées sur le lieu de travail, les remarques sur les conditions ou l’organisation du travail relèvent, sauf abus manifeste, de la liberté d’expression.
Un employeur n’a pas le droit d’espionner, d’interpréter ou d’exploiter ces paroles pour justifier une sanction disciplinaire.
Il n’a pas non plus le droit de s’en servir pour priver un salarié d’une prime, d’un avancement, d’une mutation ou d’un quelconque droit.
Le Code du travail protège les salariés contre ce type de dérive. Aucune décision défavorable ne peut être fondée sur une opinion exprimée dans un cadre non fautif. La liberté d’expression ne disparaît pas parce qu’on traverse la porte de l’entrepôt ou du bureau.
Ce type de pratique — utiliser une discussion entre collègues ou une simple phrase de mécontentement pour justifier un “manque de motivation” ou une “non-attribution de prime” — est non seulement injuste, mais illégal.
Ce site est protégé par la loi n°2022-401 du 21 mars 2022 (loi Waserman).
Il entre dans le cadre du droit d’alerte, et vise à documenter des faits graves affectant les droits, la santé ou la sécurité des salariés.
Conformément à la loi, aucune mesure de représailles ou tentative d’entrave ne peut être exercée à l’encontre de la personne à l’origine de cette initiative.